Claude Tchamitchian

contrebasse & COMPOSITIONS

Né à Paris le 28 décembre 1960, Claude Tchamitchian a passé son enfance et son adolescence à Orléans où sa famille décide de s’installer alors qu’il n’a que trois ans. Elevé dans un milieu ouvert à la musique (son père, pianiste, a été l’élève de Cortot puis durant une année musicien dans l’orchestre de Claude Luter dans les caves de Saint-Germain-des-Prés) mais où l’idée d’en faire sa profession était simplement irrecevable, le petit Claude suit quelques cours de piano et apprend les rudiments de la musique comme ses frères mais passe l’essentiel de son enfance tiraillé entre son attirance contrariée pour la danse et l’école de rugby qu’il fréquentera de 8 à 18 ans…

C’est vers l’âge de 15 ans que la musique fait son grand retour dans sa vie lorsqu’en compagnie d’une bande de copains (dont le futur batteur Olivier Robin) il se plonge dans le rock de l’époque (Led Zeppelin, les Who, King Crimson, Soft Machine…) et tombe par hasard sur “Africa Brass” de John Coltrane… Sa vie bascule alors. Il se met à fréquenter le club de jazz de la ville, découvre pêle-mêle Paul Motian en quintet, Cecil Taylor en solo, tout en s’initiant à rebours au jazz des origines en piochant dans les 78t tours de son père (Art Tatum, Sidney Bechet, Django Reinhardt). Très vite ses goûts le poussent vers le free jazz d’Albert Ayler, le lyrisme de Charles Mingus, mais aussi l’album solo “Amir” d’Henri Texier ou encore la liberté de Scott La Faro au sein du trio de Bill Evans. Il a tout juste 20 ans lorsqu’il décide de s’initier à la contrebasse en autodidacte en s’appliquant à relever à l’oreille les grilles des standards et les lignes de basse de Ray Brown au sein du trio d’Oscar Peterson. Lorsqu’au début des années 80 s’ouvre à Orléans le Caveau des Trois Marie, il propose ses services. Il y jouera pendant trois ans, quatre fois par semaine, apprenant les rudiments du métier in situ en accompagnant des solistes de passage, aux styles les plus divers.

C’est le pianiste Siegfried Kessler qui au terme d’un gig l’encourage à s’engager définitivement dans la vie de musicien et lui ouvre de nouveaux horizons en l’incitant à parfaire sa technique auprès d’un contrebassiste classique. Suivant ses conseils il intègre fin 1982 la classe de Mr Fabre au Conservatoire d’Avignon pour ne plus se consacrer dès lors qu’à son instrument, aux côtés de musiciens comme Bruno Chevillon, Bernard Santacruz, Renaud Gruss ou Bruno Rousselet… Parallèlement il s’inscrit début 1985 dans la classe de jazz animée par André Jaume où il rencontre la fine fleur du jeune jazz français en devenir (Guillaume Orti, Stephan Oliva, Jean-Pierre Julian, Rémi Charmasson, Gilles Coronado, etc.). Multipliant les collaborations au sein de cette nébuleuse (il enregistre notamment deux disques avec André Jaume durant cette période dont “Cinoche”), Tchamitchian commence à se faire un nom et à travailler avec les musiciens du Sud de la France (du Marseillais Raymond Boni aux Lyonnais de l’ARFI…).

Lorsqu’il décide de monter à Paris fin 1987 au terme de ses études sa notoriété est suffisante pour qu’il intègre très vite les formations de Jean-Marc Padovani (avec François Verly et Stéphane Kochoyan), Yves Robert (avec Philippe Deschepper, Xavier Desandre puis Alfred Spirli), Sylvain Kassap (avec qui il enregistre le disque “Senecio”) ou encore Jacques Di Donato (où il rencontre le batteur Éric Échampard). Au tournant des années 90, participant de façon très active à l’essor de la jeune scène gravitant autour du club de Montreuil Les Instants Chavirés, Claude Tchamitchian est sur tous les fronts…

En 1992 il enregistre son premier disque en leader, le solo de contrebasse “Jeux d’enfant” (Pan Music), et dans la foulée commence à monter ses propres formations. Cela aboutira en 1993 à la création du septet Lousadzak, petite formation sous influence mingusienne où le contrebassiste pour la première fois intègre son sens du lyrisme hérité du free jazz dans un cadre formel marqué par le tropisme oriental de ses ascendances arméniennes. Dans la foulée, dans un souci d’autonomie artistique, il décide de créer, en compagnie de Gérard de Haro, Françoise Bastianelli et Marc Thouvenot, la maison de disque Emouvance qui très vite, en plus de s’imposer comme le vecteur privilégié de son propre travail (après “Lousadzak” en 1994 il publie l’année suivante l’album “Ké Gats”, en duo avec Raymond Boni), va devenir la vitrine et l’outil de promotion de toute une nébuleuse de musiciens importants délaissés par les grandes compagnies discographiques (Boni, Daunik Lazro, Barre Phillips, Michel Doneda, Stéphan Oliva, etc.). Continuant par ailleurs son activité de sideman aux côtés de musiciens aussi différents que Gérard Marais (“Est”, 1994), Yves Robert (“Tout de suite”, 1995), Jacques Thollot (“Tenga Nina”, 1996), Claude Barthélémy (“Mr Claude”, 1997), ou encore François Corneloup (“Jardins ouvriers”, 1998), Tchamitchian fonde en 1997 un ambitieux big band de 13 musiciens, le Grand Lousadzak, à la tête duquel il enregistre le disque “Bassma Suite”. Parallèlement, suite à deux voyages en Arménie en 1994 et 1995 qui le (re)mettent en contact avec son histoire familiale et la culture musicale orientale, le contrebassiste entame une collaboration avec le joueur de kamantcha Gaguik Mouradian qui au terme de nombreux concerts aboutira à l’enregistrement du disque en duo “Le monde est une fenêtre”.

Le tournant des années 2000 est un moment de suractivité et de consécration pour le contrebassiste, sollicité de toute part. Il joue dans Système Friche de Di Donato ; fonde un quartet franco-américain aussi éphémère que décisif avec Mat Maneri, Herb Robertson et Christophe Marguet ; multiplie les collaborations plus ou moins régulières avec Marc Ducret, Michel Portal, Sophia Domancich, Lynda Sharrock, Jean-Luc Capozzo, etc. ; participe avec Éric Échampard à la refondation du MegaOctet d’Andy Emler puis à la naissance de son premier trio (deux formations toujours aussi vivaces 15 ans après !). Très actif également dans le champ de la production (Emouvance durant cette période publie pêle-mêle l’octet de Jean-Pierre Jullian, le duo Stéphan Oliva-François Raulin, le quintet de François Merville, le quartet “Next to You” avec Joe McPhee, Daunik Lazro et Raymond Boni, etc.), Claude Tchamitchian poursuit ses recherches personnelles en matière de composition et d’organisation orchestrale, gonflant les dimensions de son Grand Lousadzak jusqu’à atteindre un temps 23 musiciens, pour finalement enregistrer un nouvel album du groupe (New Lousadzak) en octet en 2006, “Human Songs”, et initier un nouveau quartet en compagnie de Régis Huby, Rémi Charmasson et Christophe Marguet (Ways Out).

Tout en continuant d’enregistrer avec des complices de longue date (Stéphan Oliva “Stéréoscope”, 2009) et d’initier de nouvelles rencontres dans le champ du jazz et des musiques improvisées (le trio Amarco avec Guillaume Roy et Vincent Courtois), Claude Tchamitchian, de plus en plus intéressé par les projets trans-genre et inter-culturel, multiplie également les collaborations aux confins de la musique traditionnelle en compagnie notamment de la chanteuse grecque Angélique Ionatos (“Eros y Muerte”), de l’orchestre de tango argentin Trio Esquina et depuis 2013 du clarinettiste klezmer Yom (“Le silence de l’exode”). Concernant ses propres projet, après avoir enregistré en 2010 un deuxième disque en solo, “Another Childhood”, le contrebassiste a publié coup sur coup deux disques majeurs ouvrant de nouvelles perspectives à son univers : l’album “Trace”, longue suite lyrique entièrement consacrée à l’évocation du génocide arménien à partir d’un texte du romancier Krikor Beledian ; et “Need Eden” où à la tête d’une formation totalement acoustique (Acoustic Lousadzak) il assume sans détour ses désirs d’écriture et l’influence sur son langage de la tradition savante occidentale.

Texte de Stéphane Ollivier

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